S’écrire, La Conserverie- Exposition présentée à la galerie de la Cité musicale, Metz
Du 24 janvier au 16 mars 2025
Cette exposition est une réflexion autour de la photographie amateur et familiale comme objet de lecture de notre être social, de notre écrit volontaire et de notre empreinte fortuite. La photographie de famille comme viatique. Des images comme récit de soi, pour soi, et pour l’autre.
Une proposition d’Anne Delrez. Une co-scénographie de Valentin Wattier et Anne Delrez
Exposition « S’écrire » – la Conserverie à l’Arsenal de Metz, 24 janvier – 16 mars 2025
La photographie comme viatique, un texte de Caroline Recher, novembre 2024.
La petite photographie
Avez-vous déjà feuilleté ou fait défiler répétitivement, du bout des doigts, des photographies de votre famille, de vous-même enfant, d’un être aimé ou désaimé ? Encore et encore, cherchant dans leurs détails quelque chose qui rassure, quelque chose qui se dérobe, qui a existé, dont vous souhaiteriez à nouveau respirer la pleine saveur ou que vous voudriez comprendre ?
La photographie dite « de famille » est une photographie qui nous touche, que l’on touche. Elle porte souvent la marque de nos attachements : les tirages pliés, gondolés ou pâlis ont été transportés, exposés, manipulés tant et plus. Loin des standards de la « grande photographie », cette petite photographie nous réunit toutes et tous : qui n’a pas cherché, derrière ces images, témoins de ce qui change, quelque chose qui ne change pas : une essence, un noyau, quelque chose d’indéfinissable mais primordial ? Quelque chose qui constituerait le cœur de notre être au monde, de notre singularité ? La petite photographie, comme la petite histoire, ne prétend pourtant pas être extraordinaire. Elle prétend seulement dire : voilà mon univers, voilà ce que je trouve beau, ce que je trouve remarquable, voici les gens que j’aime. Voici ce que j’aimerais retenir et transmettre.
Ces photographies sans titres de noblesse sont des images affectives, qui viennent nous parler avant tout d’un registre émotionnel, relationnel. Elles portent la trace précieuse d’un présent que l’on revisite ensuite du dehors, cherchant à nous le remémorer ou à saisir ce qui, au moment de la prise de vue, a échappé à notre conscience. Dans le flot de la vie, l’immobilité des photographies offre un refuge, un réconfort, un lieu où retourner. Le temps qui passe nous échappe moins, tout à coup. Ces images collées dans des albums, conservées dans un portefeuille ou dans un carton à chaussures, dans les applications et sur l’écran d’accueil de nos téléphones portables, sont un viatique. Un trésor humble qui raconte notre vie, celle de notre lignée familiale, de nos liens de cœur, de nos aventures.
La collection de La Conserverie a été constituée par quelqu’un qui considère les gens avec tendresse, qui sait voir la singularité des regards et des attitudes, qui saisit la portée et la grâce de cet art modeste. Anne Delrez recueille depuis quatorze ans des ensembles de photographies donnés par des particuliers, anonymement ou non. Elle les inventorie et les archive avec soin, elle les fait vivre en exposant et publiant des projets issus d’une lecture sensible de cette matière à la fois intime et universelle, profondément humaine. Elle fait apparaître des dénominateurs communs, des universaux. À travers des appels à participation, elle met en lumière des aspects collectifs, drôles ou poétiques, de ces images qui parlent de notre rapport au temps et de nos liens aux autres.
Au sein des fonds conservés, on trouve des archives concernant parfois trois générations familiales. On y constate les évolutions, les changements, les invariables. Et, mine de rien, dans cette collection qui parle de la photographie comme pratique sociale avant tout, c’est aussi toute l’histoire du médium qui se révèle : instantanés, photographies de studio, cartes postales, diapositives et négatifs déclinent l’évolution des techniques, des formats, des esthétiques et des usages culturels et économiques.
Se souvenir des belles choses
Sur les photographies de famille, il fait presque toujours beau, on est souvent en vacances, on sourit, on s’entend bien, on fait des repas de fête. On s’amuse, on se marie, on voyage, on célèbre. Les photographies ont tous les âges. On y voit des jeunes mariés, beaucoup de bébés, de bambins, puis les adolescents s’échappent du cadre de papier. Les parents s’éclipsent derrière l’appareil. Les grands-parents sont là, statiques souvent, austères ou enveloppants. Il y a des chiens, des chats, des oiseaux, des bouquets de fleurs, des jardins, des paysages, des monuments, des tablées familiales. On soigne le récit de notre vie dans nos albums papier ou sur Instagram. On l’écrit en mode majeur ou mineur, on capture des instants choisis pour les transmettre plus loin, à l’amoureux ou à l’amoureuse, aux amis, aux enfants et petits-enfants.
Mémoire visuelle qui tient autant du contrôle que de la spontanéité en dosages variés, la photographie amateur comporte également des temps faibles, des regards perdus, des poses malhabiles, des dos tournés, des cadrages étranges, des flous (nombreux) et des contre-jours. Des raideurs, des mines chagrines ou embarrassées, des yeux rouges ou fermés, des sous-expositions et des voilages involontaires. À bien y regarder, ce qui s’immisce subrepticement dans les interstices du récit volontaire, c’est la vie qui déborde, rugueuse, incongrue, imprévisible. Et parce que l’on ne peut tout à fait tenir l’ombre à distance, quand bien même on voudrait ne conserver que le soleil, il y a aussi de la pluie, des larmes, des accidents, des cimetières, des uniformes militaires, des ruines de la guerre. La grande histoire fait irruption, ouvertement ou de manière clandestine.
Mais au fond, on voudrait ne se souvenir que des belles choses. Ainsi, dans ces viatiques, il y a ce que l’on omet. Ce qui est laid, ce qui est douloureux. Ceux qui ont trahi, qui sont partis. Il y a des bannissements. Ces absences se dénoncent seulement occasionnellement par une photographie coupée ou un visage raturé. Pour le reste, qui saura déchiffrer les absences, les silences ?
Je, nous
L’histoire individuelle et familiale se transmet de différentes manières selon les cultures, les lieux et les époques. Le récit se construit sur un ensemble de données orales et écrites, d’objets, d’images. La photographie dite « de famille » est sans doute une manière de se projeter, de se regarder dans un miroir, mais aussi de s’inclure dans une géographie plus large, faite des liens aux êtres humains, aux animaux, aux lieux. Seul·e, en couple, en famille ou avec des amis, nous imprimons des preuves de nos expériences, de nos appartenances, de nos lignages de sang ou de cœur. Et nous photographions avant tout ce que nous ne voulons pas oublier, confiant aux images un rôle d’assurance contre la perte.
Est-ce que l’ordinaire et l’extraordinaire se communiquent plus fidèlement à travers la photographie que par l’écrit ? Ce sont sans doute d’autres choses qui sont dites ou tues. Peut-être que la photographie permet d’avoir différemment accès au sous-texte de la mythologie familiale officielle. Elle comprend, sous ce que l’on a voulu montrer, des images latentes qui échappent au contrôle du ou de la photographe. Des informations qui peuvent être saisies à retardement, un supplément d’âme ou des données restées inconscientes. Chez une mère, un frère, une amie, un enfant : un regard intense ou triste, un geste crispé, une gêne ou une coquetterie qu’on ne leur connaissait pas. Et des absences devenues soudain criantes.
On y retrouve aussi des jeux : clins d’œil, oreilles d’âne, grimaces, pirouettes, pauses narquoises ou alanguies. La photographie se fait alors à deux, trois, quatre. Il y a les rituels auxquels ont consent plus ou moins joyeusement : les sempiternelles poses « tous ensemble » sur le perron, autour de la table du repas, au fond du jardin. Au sein des archives familiales, on voit les portraits de mariage, de baptême ou de première communion qui s’égrènent au fil des générations. Le « nous » se remodèle au gré des décès et des naissances, des séparations et des départs. À y regarder de près, ce « nous » s’exprime aussi dans une posture commune, voûtée ou fière, une main sur une hanche, un air sérieux ou une blague récurrente, transmis comme par osmose de génération en génération. Cependant, tout le monde ne cherche pas l’appartenance au groupe qui tient chaud et qui rassure. On peut aussi avoir désespérément besoin de s’extraire d’une famille étouffante, de faire exister le « je ». On peut détester ces mises en scène et ce récit d’un « nous » idéalisé, ressenti comme un mensonge. Alors on se démarque, on affirme sa singularité. On tire la langue. On sort du cadre, on refuse de poser. Peut-être même, tiens, qu’on s’empare de l’appareil photo, pour reprendre son pouvoir.
La photographie, comme l’écriture, permet d’ordonner le chaos de la vie, de décanter la complexité des histoires. Elle nous permet d’avoir une illusion de contrôle sur le cours des choses, d’en extraire des bribes et de les classer. Non seulement nous choisissons ce qui à nos yeux mérite d’être retenu, mais nous pouvons aussi devenir scénographes et metteurs en scène, rajouter de la lumière, des paillettes, des farces, des filtres, des collages, des surimpressions, du rêve.
À force, doucement, les photographies parlent de leur objet, peut-être, de leur auteur, sûrement. Cette personne qui, derrière l’objectif, choisit, cadre, assemble une série d’images. Celle qui affirme ce qu’elle voit, ce qu’elle veut fixer, conserver, raconter. Le ou la photographe en titre écrit une histoire, une narration plus ou moins consciente d’elle-même qui mettra l’accent sur les visages, les anecdotes, les paysages, le quotidien ou les vacances. Une histoire pour soi et pour les autres. Un point de vue singulier sur les choses, trahi par une manière de cadrer, une prédilection pour certains motifs, une insistance, une timidité, un sens de l’humour ou une sensibilité à la lumière. Une petite mythologie qui convoque autant la vie réelle que la vie rêvée, un viatique coloré de subjectivité.
Quelques références bibliographiques autour de la photographie de famille
- Pierre Bourdieu (direction d’ouvrage), Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1965.
- Michel F. David, Anne Delrez, Adeline Rossion, En dilettante : histoire et petites histoires de la photographie amateur, Charleroi, Musée de la Photographie ; Tavier, Éditions du Caïd, 2022.
- Anne Delrez, Charles et Gabrielle, Marseille, Éditions Le port a jauni, 2003.
- Anne-Marie Garat, Photos de famille. Un roman de l’album, Arles, Actes Sud, 2011.
- Hervé Guibert, L’image fantôme, Paris, Les Éditions de Minuit, 1981.
- Irène Jonas, Mort de la photo de famille ? De l’argentique au numérique, Paris, L’Harmattan, 2010.
- Jean-Claude Kaufmann (introd.), Un siècle de photos de famille, Paris, Textuel, 2002.
- Jean-Luc et Simon Outers, Portrait de famille, Buxelles La Pierre D’Alun, 2021
- Magali Uhl (direction d’ouvrage), Les récits visuels de soi. Mises en récit artistiques et nouvelles scénographies de l’intime, Presses universitaires de Paris Ouest, 2015.
- Christine Ulivucci, Ces photos qui nous parlent. Une relecture de la mémoire familiale, Paris, Payot, 2014.
Des photographies d’exposition de Romain Vadala
Cette exposition est présentée avec le concours de Valentin Wattier, ici co-scénographe.
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Anne Delrez remercie Adeline Rossion et toute l’équipe du Musée de la photographie de Charleroi, Caroline Recher, Dominique Pemerle, Agnès Geoffray, Emmanuelle Fructus, Olivier Durand, Valentin Wattier ; l’équipe de La Conserverie, son équipe d’accrochage, Lucie Germain, Marine Lauer, Saf¡a Samaka ainsi que Lucile Taïeb ; Michèle Paradon et l’équipe de l’Arsenal.
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La Conserverie remercie l’ensemble des contributeurs des expositions La Photographie du portefeuille et de De l’air :
Les participants à l’appel à collecte pour l’exposition De l’air : Alain Ries, Anna Trenning-Himmelsbach, Arsène Loehr, Aurélie Scouarnec, Betty Brubacher, Cammie Talamona, Carole Bonetti, Chloé Lecarpentier, Christine Acheroufkébir, Christine Dufrène Le Gal, Corinne De Battista, Dominique Giroudeau, Eddie Bonesire, Elisa Murcia-Artengo, Emmanuelle Tornero, Francine Denizart, Françoise Robert, Françoise Saur, Gwenola Furic, Jacques Barbier, Jean-Claude Delalande, Jean-Jacques Dumont, Jérôme Quiqueret, Johanna Berdugo, Laure Murais, Laurence Creusot, Laurence Lognon, Liliane Feret, Lionel Fourneaux, Luc Vétois, Luca Gerosa, Maëlle de Coux, Marie-Laure Leclère, Marion Belleville, Marjorie Méa, Martine Balland, Mathé Grethen, Michel Jacquelin, Natacha Guillemin, Nathalie Hoff, Olivier Chevillon, Pascale Debert, Paul et Nadine Catry, Pierre Canitrot, Rose Durr, Sandra Stauch, Sonia Benmeziane, Thierry Massin, Toinette Chaudron, Valérie Goin, Victoria Kieffer, Valérie Hussenet et Yves Thouvenel.
Les participants à l’appel à collecte pour l’exposition La Photographie du portefeuille :
Christine cheroufkébir, Ingrid Adamiker, Marcel Arnal, Nicole Arnal, Georges Auer, Sandrine Barateig, Françoise Belu, Delphine Berthod, Marylise Bier, Roseline Bigi, Muriel Biton, Anastasia Bogomolova, Madame Bourquin, Anne-Marie Brion, Alexa Brunet, Madame et Monsieur Campoy, Daniel Campoy-Lopez, Jean Cerezal-Callizo, Catherine Chardonnay, Christine Chatelet, Dominique Colson, Eric Creusot, Laurence Creusot, Vito Di Natali, Frédéric Dupuy, Joseph Paul Feller, Chuck Fishman, Isabelle François, Jean-François Fridrici, Fiona Gandar, Vanessa Gandar, Elisabeth Gineste, Dominique Giroudeau, Françis Goeller, Jean-Michel Goettmann, Stéphane Goin, Patricia Gontard, Jean-Claude Gout, Stéphanie Gros, Thérèse Gruau, Martine Hamann, Paul Handley, Claire Harasty, Yasmina Hased, Bernard Heizmann, Marie-Céline Henry Sébastien Hoffmann, Nadine Huth Pied, Marcelle Jansen Françoise Julien-Casanova, Monique Kirch, Cindy Laboutique, David Loison, Estelle Makosso, Charlène Marchand, Viviane Marsegan, Jean Noviel, Florian Perlot, Dominique Poulain, Anaïs Prioux, Christiane Prud’homme, Marielle Quinet, Jean-Luc Rieu, Jacobs Roeland, Sophie Samama, Bernadette Schmitt, Océane Sobczyk, Berthe Sorigue, Dominique Steinkrietzer, Loïc, Stelitano Mélanie Tatibouët, Franck Taton, Marion Toussaint et Nicolas Léo Turon.