Du 30 avril au 23 juillet 2016


Giulia Andreani est peintre, en tant qu’artiste elle développe depuis quelques années une peinture d’histoire, elle participe à un courant artistique qui réaffirme un genre contesté et délaissé depuis l’entre deux guerres. Avec une connaissance aiguë de l’histoire de la peinture, l’artiste s’engage dans un territoire miné, celui de la figuration et celui de l’Histoire, elle développe un regard critique et acerbe sur l’histoire européenne. Elle travaille à partir d’images d’archives pour nous livrer sa propre lecture de l’Histoire avec un grand H. Elle est une peintre-chercheuse, lorsqu’elle définit un sujet, une problématique, elle passe des heures à fouiller : les livres dans les bibliothèques, les moteurs de recherche sur Internet, les cartons et les dossiers empilés dans les services d’archives de telle ou telle institution ou encore, plus modestement, les albums photo de famille. Le travail de fouille donne lieu à une récolte d’images soigneusement sélectionnées. Les images sont imprimées, photocopiées puis transposées sur la toile ou le papier. La transposition n’est pas fidèle, l’artiste adopte une vision interprétative et critique des images. Ces dernières sont peintes au moyen d’une couleur unique : le gris de Payne. La couleur des aquarellistes. Le gris de Payne oscille tantôt vers le bleu, tantôt vers le gris. Giulia Andreani a fait le choix d’une unité plastique. J’ai rencontré les visuels de son travail sur Facebook en 2012, elle y publiait des images de ses peintures, en particulier des hommes d’Eglises momifiés, des crânes de cardinaux qui m’ont immédiatement interpellés. Quelques semaines plus tard, je rencontrais ses peintures dans le monde réel, au Salon de Montrouge. Elle y présentait des oeuvres en lien avec une période de l’histoire européenne située entre les années 1920 et 1960. Inspirée par le cinéma italien, les séries Z, l’histoire de la peinture, l’imagerie politique et les archives familiales, l’artiste alimente ce qu’elle appelle « le journal d’une iconophage », un journal qui touche à une mémoire et à un imaginaire collectifs. Giulia Andreani n’emprunte pas les chemins battus de l’Histoire, elle l’aborde de biais pour en donner de nouveaux éclairages. Elle travaille à partir d’images d’archives peu relayées dont la transposition critique nous amène à penser l’Histoire autrement. Nous connaissons les visages des dictateurs, leurs portraits photographiques sont imprimés dans tous les livres d’histoire, mais nous connaissons moins leurs visages adolescents. L’artiste a réalisé deux séries de huit peintures : huit portraits de dictateurs en devenir, huit portraits de leurs futures épouses. Elle questionne ainsi la trajectoire individuelle, les choix que nous faisons et les positions que nous prenons. Avec le même esprit, elle réalise une série de peinture intitulée Daddies, où les plus proches collaborateurs d’Hitler sont présentés non pas comme des chefs militaires  ou bien des bourreaux, mais comme de bons pères de famille. Les images dotées d’une aura « Kennedyenne », sont troublantes, voire perturbantes. Comment ses hommes et ses femmes, ses familles d’apparence bienveillante, ont pu être à l’initiative d’une des plus grandes machine meurtrière de l’histoire ? En soulignant leur banalité, l’artiste sonde la complexité du genre humain. D’une autre manière, en 2013 elle réalise le portrait de Margaret Thatcher tenant sous ses bras deux nouveaux nés emmaillotés. Son visage est crispé, son sourire est forcé. La dame de fer n’est apparemment pas sensible à la venue au monde des futurs citoyens britanniques.
J’ai maintenant à vous parler des questions qui travaillent actuellement l’artiste, des questions relatives aux modes de représentation des femmes. Sur les documents originaux, les femmes sont mises en scène, elles sont les instruments mis au service du pouvoir masculin, une manipulation de la représentation que l’artiste annule par la peinture. Elle renverse la stratégie en déclinant des allégories sociétales où les femmes portent une vision critique. Au fil des oeuvres, nous rencontrons par exemple un groupe de jeunes femmes en maillot de bain, qui avance joyeusement, tandis qu’en arrière plan fume la cheminée d’une raffinerie. L’artiste fait ici référence au « Cartel des Sept Soeurs », les sept plus grosses compagnies pétrolières qui mènent d’une main de maître le marché. La toile intitulée L.E.F présente trois femmes paradant, bras et jambes en l’air. Elles portent des chapeaux sur lesquels sont inscrites les devises Liberté, Egalité, Fraternité. Elles incarnent la structure de la République française, qui, aux yeux de l’artiste, s’effondre à cause de peurs diverses qui mènent à un repli sur soi et à la montée des courants nationalistes. La Liberté est amputée de son pied, l’Egalité est privée d’un oeil et le bras droit de la Fraternité est coupé.
Un groupe de Miss pose en arborant les écharpes qui indiquent leurs nationalités. En creux, l’artiste réalise le portrait d’une Europe affaiblie par la violence de la crise économique, mais surtout par un manque de cohérence politique. Depuis 2012, elle se penche sur la représentation, le rôle et le statut des femmes pendant les deux premiers conflits mondiaux. De la Première Guerre, elle s’attache à restituer une imagerie éclairant les femmes au travail. Des femmes qui portent les vêtements et les uniformes des hommes, devenant par exemple des pompières ou des cheminotes. De la Seconde Guerre, l’artiste choisit d’extraire des images de femmes en arme, des femmes résistantes. Elle s’intéresse aussi aux femmes qui ont fait le choix de partir au front, notamment en tant qu’infirmières. Elles apparaissent d’ailleurs dans sa dernière toile intitulée Le Rempart, une oeuvre que je qualifierais d’oeuvre manifeste où, avec une vision transhistorique et transculturelle, un groupe de femmes est réuni : les infirmières sur le front, une figure évoquant Simone de Beauvoir glissant un bulletin de vote dans une urne, Hannah Höch portant une de ses poupées ou encore une Salomé présentant sa propre tête. Ainsi, les images déconstruisent les discours. Giulia Andreani retourne les images de propagande pour en faire de véritables instruments critiques envers des sociétés qui ne semblent pas avoir retenu les leçons de leur propre Histoire. 
L’artiste veille aux images : leur rôle, le discours qu’elles véhiculent et leurs répercussions normées sur l’imaginaire collectif.
Julie Crenn Texte du Prix AICA 2015 – Palais de Tokyo (20 mars 2015) 

© Giulia Andreani
Nous autres est le fruit d’une résidence de Giulia à Metz. Ce travail est une proposition d’appréhension du fonds iconographique de La Conserverie.

Le site de l’artiste : Giulia Andreani