22 novembre 2019 au 14 février 2020


Depuis plusieurs années, la collecte de photographies anonymes est au centre du travail d’Emmanuelle Fructus. Aussi en 2006, elle crée Un livre – une image, structure qui lui permet d’explorer la photographie de famille en acquérant des fonds d’images documentaires. Observer ces images pauvres, recenser, classer, nourrissent la réflexion autour de la pratique amateur : beaucoup d’images produites en grand nombre, stéréotypées et banales.
Ces centaines de milliers d’images sont généralement délaissées. C’est là que le travail d’Emmanuelle Fructus commence. Toujours leur trouver une place ; ce souci l’a conduite à collecter ces images pauvres de manière obsessionnelle. Un protocole, une synthèse de ces anonymes se dessine pour qu’ils s’ordonnent dans ses tableaux, d’abord sur de petits cartons où ils sont réunis par groupe de cinq ou six, puis par lignes et colonnes, par affinité, esthétique ou densité, et enfin s’enchâsser sous un cadre de verre. Ces acteurs anonymes sont surtout choisis en pied, détourables, relativement nets, et, dans la mesure du possible, sans objet entre les mains. Telle une couturière, Emmanuelle Fructus découpe inlassablement ces personnages photographiques avec de petits ciseaux. Ses acteurs incongrus proviennent de la fin du XIXe siècle comme des années 1970. Elle extrait ces formes humaines de leur contexte pour les classer selon leur densité, leur brillance, leur colorimétrie sur de petits cartons blancs de forme rectangulaire où chacun est repositionné dans un espace neutre et sans histoire. Un nouvel ordre des choses.


Ce travail plastique questionne sur le lien entre la photographie et ses techniques. Le papier photographique est au centre des attentions d’Emmanuelle Fructus, elle consacre un temps infini à découper le plus nettement possible et à classer ses prises du plus dense au plus clair. Mais ce classement est loin de n’être qu’esthétique. La matière photographique est comme un pigment. C’est une couleur, une note particulière que l’on réunit avec d’autres pour que ce tout partage une organisation, un sens.
Chaque tableau doit comporter dans chaque série toujours plus de personnages, il n’y en a jamais assez. Telles des suites de chiffres et de dates, ces tableaux parlent aussi de notre Histoire, celle des disparus, des rescapés et des vivants.
La photographie de famille ne nous dit rien en soi. Aussi, il est toujours difficile de se projeter dans les faits historiques qui se révèlent être des phénomènes assez abstraits, puisque nous n’avons pas vécu affectivement la dite période photographiée, représentée. Ainsi, tous ces personnages extraits de leurs images d’origine, nouvellement assemblés comme des listes de noms, portent en eux le silence de leur histoire intime et celui de notre histoire. Les déclinaisons sont infinies. Emmanuelle Fructus ne cherche pas à créer des mythologies, mais bien plutôt à dresser des inventaires, une typologie photographique.

© Emmanuelle Fructus