Anneessens de Vincen Beeckman

    Du 27 mai au 15 juillet 2023 Le Père Philippe (+), Philippe Heymans de son nom civil, fut une figure importante du quartier Anneessens. Très actif pour les jeunes du quartier. De nombreuses photographies prises par le Père Philippe lui-même témoignent de ces activités et voyages. Traces d’évasion et de libération d’une jeunesse des années 60, 70, 80 et 90. Aujourd’hui, qui sont-ils? Où sont-ils? Comment le Père Philippe a-t-il changé leur trajectoire de vie? Quels sont leurs souvenirs marquants? Le projet « Les vacances du Père Philippe » part à la recherche de ces jeunes et de leurs souvenirs. Vincent Beeckman récoltera ces souvenirs (interviews audio). ________________________________________________________________________________________________ Les témoignages sur le père Filip brossent le portrait d’un homme « costaud, très gentil mais qui ne se laissait pas faire ». Les rares clichés où apparaît le curé révèlent un homme en chemise, bien bâti, la chevelure blanche et le regard souriant. Une image prise dans une avenue résidentielle baignée de soleil, montre l’homme d’âge mûr posant avec simplicité devant un campingcar rappelant les années hippies. « On est parti à quatre dans la camionnette du père Filip pour aller camper à Salou (ville côtière du nord-est de l’Espagne, BDLR ». En marges des activités proposées au sein du club tout au long de l’année, Filip Heymans consacrait son temps et son énergie à des moments d’évasion plus ambitieux; des sorties au grand air (à la côte belge, dans les Ardennes…) et des excursions culturelles, loin de l’anxiété et de la violence urbaines. Certains jeunes auront même l’opportunité de passer des vacances à l’étranger (en Asturies, région d’origine de certains d’entre eux) et de découvrir des villes comme Paris et Barcelone. « Franchement, j’ai eu une super jeunesse, j’ai pu voyager avec Filip, on avait tout ce qu’on voulait, dit Hassan. Sur ses images maîtrisées, aux cadrages quelques fois audacieux ou poétiques, le père Filip est plus que le photographe de la bande, gardien de la mémoire d’une jeunesse oubliée. Il est celui qui croyait en ces gaillards pour qui on n’aurait « pas donné un bal ». Celui qui, tel un père, voyait en leur fougue, joies et dégaines adolescentes des instants suffisamment précieux que pour être immortalisés. Aujourd’hui, ces clichés d’ados à la chevelure touffue et au regard fier, abordant les incontournables jean Levis et converses assorties, respirent intensément les années septante. Et si la mort a eu raison de certains d’entre eux, ceux-là continuent de faire les quatre cents coups dans les clichés nostalgiques d’un curé de quartier. « Le père Filip, que Dieu ait son âme, il a fait des belles choses. J’espère qu’il est au paradis. » Les traces de l’action du père Filip menée dans le quartier Anneessens ont disparu avec lui. Inutile de taper « Filip Heymans » dans Google, ce nom n’existe (presque) pas. « Filip était d’une grande discrétion et humilité », se souvient Christian Boucq, bras droit du père Filip, animateur avant de devenir directeur de la maison des jeunes où opérait le curé. « Il se mettait toujours en première ligne mais n’écrivait rien, ne prenait la parole nulle part et ne se mettait jamais en avant ». « Plus Filip vieillissait plus il devenait radical », raconte Luc Van Campenhoudt qui collabora avec le curé comme jeune bénévole avant de faire son service civil au sein de son ASBL. « Il avait pris l’option radicale d’aider ces jeunes parce qu’ils étaient les plus misérables. C’était le genre de curé à la Victor Hugo, capable de faire un cadeau à ses voleurs », dit Van Campenhoudt en faisant référence au jour où des jeunes de la maison de quartier dérobèrent une partie de la précieuse collection de disques de musique classique du Père Filip qui, en guise de réponse, liquida le restant de la marchandise au profit des jeunes du quartier. « C’était un timide qui pouvait piquer des colères extraordinaires. Lorsqu’un jeune dérapait, il le jetait dehors, mais le lendemain, il était tout à fait le bienvenu. Filipe était révolté par le sort de ces jeunes, la dureté et la misère de leur quotidien. » « On devait être dur avec les jeunes mais on était toujours de leur côté », raconte Christian Boucq. « Il arrivait que leur violence se reporte sur nous. On se retrouvait face à des trafics de drogue, une guerre des gangs, des dealers qui entraient armés dans les locaux, des jeunes qui préparaient des coups. Chaque matin avec Filip, on regardait dans le journal pour voir s’il y avait des jeunes tués ou arrêtés par la police. Quand Filip ne savait plus à qui s’en remettre, je sais qu’il se tournait vers les Evangiles. Mais il ne m’a presque jamais parlé de religion. Il n’y avait pas une once de prosélytisme chez lui ». Au début des années quatre-vingt, la criminalité qui frappe le quartier de plein fouet assortie d’un manque de renforts et de moyens financiers finissent par avoir raison de la petite structure solidaire, une des premières en son genre en Belgique. Après de douloureux soubresauts, l’ASBL Les Caves ferme ses portes définitivement. La fin d’une aventure humaine mais surtout pas la rupture du lien social, puisque le Père Filip continuera d’assurer une présence et une aide dans le quartier, endossera le costume d’aumônier de prison pour ne pas lâcher les jeunes les plus isolés, lancera le club de mini-foot (bien classé) Anneessens 25 et rejoindra même les rangs du PTB. Si Filip Heymans est passé à travers les mailles du filet de la grande histoire, son nom résonne encore vivement dans la mémoire des individus qui ont croisé son chemin. Le Père Filip a semé des graines spirituelles dans le quartier Anneessens et elles continuent d’éclore. Ces images sont une preuve parmi d’autres.   Sophie Soukias